A peine arrivée, j'ai eu envie de rédiger et d'illustrer nos découvertes et notre nouvelle vie. Pour ceux que ça intéresse, mais aussi pour nous, des fois que nos mémoires nous jouent des tours.
Le 27 février 2014, les législateurs chinois ont accepté d'inscrire au calendrier national deux jours supplémentaires pour célébrer la victoire chinoise sur le Japon lors de la 2e guerre mondiale et pour commémorer le massacre de Nanjing de 1937.
Le 3 septembre se nomme Jour de la Victoire contre l'Agression Japonaise (on note les majuscules) et le 13 décembre Jour National à la Mémoire des Victimes du Massacre de Nanjing par les Envahisseurs Japonais.
J'ai choisi des photos de moments paisibles
à Nanjing
C'est vrai que les Japonais ont été particulièrement agressifs et que les deux pays ont été en guerre de 1937 à 1945. Quand on visite Nanjing, on se rend compte que la blessure est encore terriblement ouverte. J'ai trouvé un résumé sur Internet qui m'a paru intéressant, parce qu'il prenait un peu plus de recul que les articles chinois qui ont paru dans nos quotidiens (et certainement les réactions japonaises outrées) :
" Pour les
Chinois de toutes origines et opinions, Nankin est devenu un drame du
même ordre que celui de Hiroshima, ou même d’Auschwitz. En même temps,
on voit encore beaucoup de Japonais s’efforcer, sinon de nier
complètement les crimes de leur armée, du moins de les minimiser et de
leur trouver des excuses.
Pourtant,
pour quiconque prend la peine de se pencher sur les nombreuses preuves
disponibles, le déroulement, les responsabilités et la taille (y compris
le nombre de victimes, qui a donné lieu à tant d’empoignades) ne sont
pas excessivement difficiles à établir, avec un bon degré de précision.
Aucun autre massacre dans l’histoire asiatique n’a eu autant de témoins
prêts à déposer et à écrire ! Mais la centralité même de Nankin dans le
récit de la guerre sino-japonaise de 1937-45 a malheureusement favorisé
les rideaux de fumée inspirés par l’idéologie, et ce des deux côtés. [...] "
Jean-Louis Margolin, Une réévaluation du massacre de Nankin
L'article en entier m'a passionnée. Un lien se trouve ici.
Je ne suis ni historienne, ni japonaise, ni chinoise. Pire, je n'ai jamais connu de guerre, je viens d'un pays qui brandit sa neutralité à chaque instant. La guerre est abominable, cruelle, n'importe où, n'importe quand. Pas de bons, pas de mauvais, tous les camps ennemis nous cachent tellement de choses, même beaucoup plus tard, que prendre parti est impossible, tous mauvais ! Dans cette histoire, ma seule réaction est de me demander si ce ne serait pas le moment de tirer un trait et d'avancer, d'un côté comme de l'autre. Inscrire ces deux jours au calendrier national, c'est peut-être un respect pour pour ceux qui ont laissé leur vie il y a plus de 70 ans, mais c'est aussi raviver la haine. On l'a vu en 2012 à cause de ces îles dans la mer de Chine.
Et si jamais la Chine revenait sur sa décision, ne perdons pas le 3 septembre, c'est mon anniversaire.
Il n'y a pas si longtemps les Chinois avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper de leur héritage architectural et plus particulièrement de l'architecture héritée de l'ère bourgeoise. On a détruit pour reconstruire et gentiment on réalise que certains bâtiments sont précieux, dont ceux d'un pionnier de la modernité chinoise, un architecte venu d'Europe de l'est en 1918 les mains vides, je veux nommer... László Hudec, reparti 27 ans plus tard auréolé d'une solide réputation de bâtisseur.
"L.E. Hudec: Visionary"
by Anne Hudec, SFCA
"László Ede Hudec ou Ladislav Hudec, né le 8 janvier 1893, à Banská Bystrica est un architecte hongrois et slovaque", nous raconte Wikipedia. Hongrois ou slovaque ? Son lieu de naissance faisait alors partie de l'Empire austro-hongrois. Il a étudié l'architecture à Budapest de 1911 à 1914, créant ainsi des liens forts avec la culture hongroise. Opter pour cette nationalité aurait été logique, mais sa région de naissance venait d'être annexée à la Tchécoslovaquie. Dans une lettre à sa famille restée en Europe, il a écrit : "Suis-je magyar ou tót
(slovaque), je n'en ai pas la moindre idée et je ne veux pas le savoir; je ne peux pas me diviser comme mon pays l'a été, je reste qui j'ai toujours été, fils d'une mère hongroise et d'un père slovaque." Il parlait les deux langues, est même devenu Consul honoraire de Hongrie à Shanghai en 1941. Il avouait se sentir tiraillé entre les deux cultures, mais elles ont fait de lui un architecte est-européen. Il a changé son nom une fois arrivé à Shanghai. Ses diplômes sont au nom de Hugyecz (nom hongrois), mais Hudec, qui ressemble davantage à un nom slovaque, est plus facile à épeler et à prononcer. Son prénom a toujours été Laszlo, mais on le trouve parfois appelé Ladislaus, l'équivalent en allemand.
Il a combattu pendant la Première Guerre mondiale avec l'armée austro-hongroise,
s' est fait capturer par l'armée russe en 1916 et envoyer dans un camp en
Sibérie pour construire le Transsibérien. Muni d'un faux passeport russe, il s'est échappé d'un train à la frontière chinoise pour atteindre Shanghai, où il
a rejoint le bureau d'architecture de Shangai, R.A. Curry. A cette époque, la cinquième plus grande ville du monde attirait toutes sortes d'aventuriers. En 1925, il
a ouvert son propre bureau, construisant bon nombre d'immeubles jusqu'en 1941.
En 1922, il a épousé Gizela Mayer, de nationalité allemande,
née à Shanghai
La bourgeoisie chinoise émergente a immédiatement mandaté Hudec pour la construction de maisons. Son style élégant et inventif plaisait. Les travaux de l'architecte comportaient toujours des innovations techniques, faisant de lui un pionnier dans le domaine, même selon les standards occidentaux. Il ne manquait pas une occasion de voyager pour enrichir ses connaissances. A la fin des années 20, il a déjà démontré toute une palette de sa virtuosité. Il a dessiné un quartier résidentiel de 75 maisons dont les plans étaient identiques, mais modulables selon les besoins de ses clients, même pendant leur construction.
Sa première grande commande, l'Hôpital Margaret Williams,
le premier à avoir la climatisation
Aujourd'hui, Wukang Mansion, jadis Normandie Apartments
(pour commémorer le paquebot Normandie),
est un bâtiment historique protégé situé dans la Concession française.
Terminé en 1924, il a abrité de nombreuses célébrités.
De nos jours
C'est en 1930 qu'il a dessiné la maison qu'il destinait à sa famille qui a pu y emménager en 1933. De nos jours, elle fait plutôt grise mine, vide et entourée de bâtiments hétéroclites et des voitures garées. Mais elle a connu des moments plus radieux, elle qui n'aurait pas décadré dans la campagne anglaise. Elle était alors entourée d'un vaste jardin.
Dès le début des années 30, Hudec a introduit l'architecture européenne en Chine, influencé par ce qui se faisait au nord de l'Allemagne.
China Baptist Publication
Society
China Christian Literature Society
A Shanghai, comme en Amérique et en Europe, dans les années
30 on aimait le cinéma. Hudec a construit le Grand Theatre (1931-33), le plus grand cinéma de la ville
et le plus élégant. On en a parlé autour du monde, dans des revues spécialisées telles que Baumeister et L'Architecture d'Aujourd'hui.
Mais ce n'était pas qu'un cinéma de 2400 places. Il comportait également une scène pouvant accueillir un orchestre symphonique au grand complet. Il paraît que le majestueux escalier et le foyer sont encore des modèles d'architecture d'intérieur, mêlant le style art déco au modernisme.
Pourtant, c'est le Park Hotel (1931-1934) qui est probablement le plus connu de ses bâtiments. Il a
été le premier gratte-ciel hors des USA (et jusqu'au début des années
80, le plus haut de Shanghai) : 22 étages, art déco fastueux,
ascenseurs express, salles de banquet, suites luxueuses, toit
rétractable au-dessus du night-club. Contrairement aux autres bâtiments,
il n'a jamais bougé pendant ou après sa construction, Hudec ayant
adopté une technologie allemande pour les fondations. C'est sûr que de nos jours, il n'est ni le plus haut, ni le plus élégant, ni le lus étoilé, mais il est toujours là.
Inutile de se précipiter, l'inauguration du Park Hotel a eu lieu le 1er décembre 1934
Hudec a construit des écoles, des églises, des bureaux, des complexes industriels (dont le bâtiment du Service des eaux et la brasserie Union Brewery).
Ce qu'il reste de Union Brewery
La résidence conçue pour Dr D.W. Wu (1935-38) est son dernier projet significatif à Shanghai. La presse de l'époque a parlé de l'habitation la plus moderne et luxueuse de tout l'Extrême-Orient, utilisant les idées de Erich Mendelsohn et Le Corbusier. Des salons de réception, une salle de classe, un sanctuaire, rien ne manquait... L'escalade de la guerre sino-japonaise (attaque de l'armée japonaise et occupation par les Japonais de quartiers de Shanghai en 1937) a ensuite limité les activités de Hudec.
En 1947, Hudec, considéré trop proche des cercles bourgeois a dû fuir la Chine. Il avait rêvé de retourner en Hongrie, mais à ce moment-là, ce n'était pas possible, l'Europe était coupée en deux, il craignait une troisième guerre mondiale. Lugano, Rome... Berkeley (Californie) où il a enseigné. Il est décédé d'une attaque cardiaque en 1958 à l'âge de 65 ans. Sa dépouille repose à Banska Bystrica (Slovaquie).
Les sites qui m'ont aidée à concocter cette page sont nombreux :
J'ai trouvé une légende que j'ai envie de méditer : "La plus importante
réalisation de Hudec est le pont entre l'Europe et l'Asie. Hudec, qui
maîtrisait 9 langues européennes, ne parlait ni ne comprenait le
chinois, alors que la majorité de ses clients était chinoise. Il a
prouvé que même élevé dans une autre culture et influencé par des
traditions différentes on pouvait comprendre les besoins des habitants d'un coin
du monde éloigné. Les obstacles et les limites ne se trouvent que
dans les têtes, dans les idées fixes."
En quelques semaines j'ai reçu des invitations de personnes que je connaissais, des invitations à confirmer que justement je les connaissais, et qu'il fallait que je le crie haut et fort sur LinkedIn. Comme je ne figure pas sur cette plateforme, j'ai envoyé à chaque fois un petit mot à leur adresse email (que je connaissais aussi) du genre "Je confirme que je te connais, mais je ne peux pas te le dire sur Linkedin puisque je n'ai pas envie de m'y inscrire." Par retour du courrier, j'ai reçu un message personnel "Ce n'est pas grave, je ne t'en veux pas", quelque chose comme ça, et l'affaire était réglée à la satisfaction des deux personnes concernées. Mais pas à la satisfaction de LinkedIn qui m'a envoyé plusieurs rappels. Pourquoi tant d'acharnement ?
C'est à la lecture d'un communiqué que j'ai compris que celui qui se nomme "le plus grand réseau professionnel du monde" avait attaqué la Chine, en chinois dans une version beta. D'après l'article, c'est encore un peu artisanal si on essaie de s'y rendre directement, qu'il y a des opérations à exécuter manuellement, alors que si on réagit à une invitation tout est plus simple. La version en anglais existe toutefois ici depuis une dizaine d'années, mais en chinois c'est tout neuf.
Le logo de Lagou.com
Il faut dire que site devra mettre mettre les bouchées doubles s'il espère concurrencer la compétition locale, à savoir Dajie.com et Lagou.com. Et comme l'indique un spécialiste "La demande en réseautage professionnel sérieux n'est pas aussi grande que le pour le réseautage social."Je comprends donc mieux pourquoi j'ai reçu tous ces rappels. Encore et toujours, le marché chinois fait briller les yeux du monde entier.
Du métro, j'en ai déjà parlé à de nombreuses reprises. Ah, le métro et ses heures de pointe (entre 7.30 et 9.30 heures, puis entre 16.00 et 19.00 heures) pendant lesquelles nous nous entassons et nous devons encore faire une petite place à quelqu'un qui a fait un shopping d'enfer ou qui a décidé de livrer une série d'ordinateurs sur un diable... C'est à ce moment que l'on se dit qu'on aurait dû attendre ou se dépêcher, selon l'heure à laquelle on regrette amèrement d'être en ligne devant les portes ou coincée sur un seul pied, le visage balayé par une queue de cheval et abrité par un bras qui s'accroche à une poignée juste au-dessus de notre tête. 8 millions de passagers sur 15 lignes, il y a de quoi observer.
Le monstre des portes qui ne monte ou ne descend pas, qui bloque les portes, même s'il y a de la place à l'arrière
Le monstre-tortue avec son sac à dos destructeur qui ravage tout sur son passage
Il se trouve que je ne suis pas la seule à faire ce constat puisqu'un dessinateur de BD taïwanais, Qiao Ke, vient d'illustrer des situations qui devait aussi l'énerver et qui ont trouvé un écho à Shanghai. Les voyageurs ont souri, ils approuvent.
Le monstre dormeur qui occupe un siège réservé aux personnes âgés, ou s'étale sur plusieurs places, mais qui se réveille par magie à sa station.
Le monstre accroché qui frappe de son coude tout ce qui l'entoure. Encore pire en fin de journée, merci les odeurs.
Le montre-lecteur passionné d'infos qui déploie son journal sans se préoccuper des autres.
Le monstre curieux qui surveille ce que les autres lisent ou écrivent par-dessus leur épaule.
Tous ces monstres ont bien fait rire Fred qui en a reconnu plusieurs lors de ses nombreux déplacements en métro et qui m'a conseillé de me pencher sur le sujet.
Le monstre à queue de cheval qui ne peut s'empêcher d'agiter sa tête de façon vigoureuse et constante-
Le monstre-rugbyman qui se rue dans le wagon, écrase tout le monde et qui fait encore de la place pour ses potes.
Le monstre-pole dancer qui s'enroule autour d'un poteau, empêchant ainsi quiconque de pouvoir se tenir.
Le monstre-caillou qui dépose son baluchon droit devant la porte bloquant ainsi le passage.
Les voyageurs ont souhaité suggéré d'autres dessins à l'artiste : le monstre bondissant qui se rue avec force sur tout siège devenu vacant, le monstre envahissant qui ne se contente pas d'étaler ses jambes, mais répand aussi ses possessions sur d'autres sièges, le monstre affamé qui engloutit des choses parfois peu ragoûtantes, le monstre-distributeur de flyers...
Moi, j'ajouterais encore : le monstre-hurleur qui pense que son correspondant téléphonique est sourd, ou le monstre-joueur qui doit avoir dépensé toutes ses économies dans un téléphone ou une tablette, à qui il n'est plus resté un yuan pour des écouteurs nous infligeant ainsi des bruits de balles, de fusées ou des dialogues de séries TV.
Si les Kwok n'avaient pas été cantonnais, ils se seraient appelés Guo. Si le père Kwok n'avait pas été un homme d'affaires avisé, il n'aurait pas quitté l'Australie pour venir s'installer à Shanghai avec toute sa famille en 1918 pour y ouvrir le magasin le plus somptueux et le plus grand de la ville (le magasin existe encore de nos jours, propriété de l'état); le magasin a immédiatement attiré une clientèle nombreuse sur Nanjing Lu, les vendeuses étaient jolies, on papotait dans son salon de thé et on se trémoussait au dancing, tout dans le même bâtiment. Leur fortune provenait directement de George, né en 1883 à Zhuxiuyuan dans la province du Guangdong, qui avait suivi son frère aîné à Sydney à l'âge de 16 ans. Les Kwok, qui avaient ouvert un magasin de fruits au centre-ville de Sydney, sont devenus des leaders de la communauté chinoise australienne. George soutenait à distance le Dr Sun Yat-sen, qui l'a invité en personne à revenir en Chine.
Allée 24, Bâtiment 5, Lixi Lu (Rue de Lucerne)
dans le quartier de Changning, une enclave de villas démesurées
et décaties par plus de 80 années de vent, de soleil, de pluie.
Née en 1908, Daisy avait neuf ans quand ils sont arrivés à Shanghai. Elle ne parlait pas un mot de chinois puisque jusque là elle avait vécu dans les faubourgs de Sydney. C'est dans la prestigieuse McTyeire School for Girls qu'elle a été scolarisée en anglais. Pendant quelque trente ans, sa vie a été une vie de princesse à Shanghai, bien qu'elle ait suivi les cours de l'université Yenching pour obtenir une license en psychologie en 1934. "Je suppose que nous étions riches, toute le monde le disait, moi je n'en sais rien, je ne me suis jamais préoccupée d'argent," a-t-elle déclaré lors d'une interview. "J'ai été élevée ainsi. Tout faux, bien sûr." A la mort de son père, elle est devenue co-propriétaire de la compagnie du défunt. Sa vie dans les années 30 était comparable à celles des jeunes, beaux et riches que l'on trouve de nos jours : derniers vêtements à la mode, sorties dans les restaurants réputés. Elle a même ouvert une boutique de mode avec une amie proposant des tenues pour une clientèle cosmopolite.
La famille Kwok comprenait 10 enfants et 24 domestiques.
Sur cette photo prise sur la pelouse devant la maison,
on voit 18 membres de la famille, le patriarche en blanc.
C'était la plus belle fille de Shanghai, la plus riche aussi. On l'a fiancée au moins cinq fois. On courtisait cette quatrième fille de la famille Kwok, elle a même eu un
prétendant qui avait menacé de se tirer une balle si elle ne l'épousait
pas. Son mari, c'est elle qui l'a choisi, un jeune ingénieur diplômé du MIT de Boston, Woo Yu-hsiang, de bonne lignée mais sans fortune. Leurs fiançailles ont eu lieu à la maison, plus de cent tables dressées sur la pelouse de la Rue de Lucerne.
L'architecte suisse Luthy, qui a donné à la rue son nom, avait gardé une pièce pour sa maîtresse, à l'abri des regards.
Les Japonais sont arrivés... puis repartis. Les Nationalistes ont eu leur moment de gloire et, en 1949, les Communistes sont arrivés et ont mis une fin à la vie facile de la classe aisée. Le magasin de Nanjing Lu a été fermé. Toute la famille de Daisy, des oncles, des cousins, des frères, tous sont partis pour les USA et Hong Kong où la succursale du magasin continuait à prospérer. Daisy et son mari ont décidé de rester à Shanghai, leur compagnie d'instruments scientifiques commençait à marcher, ils n'avaient pas envie de tout recommencer ailleurs, en tous cas pas immédiatement. En outre, l'époux de Daisy était enthousiaste à l'idée de développer l'économie de la nouvelle nation. Mais il écoutait la radio américaine pour se tenir au courant des résultats de baseball, ce qui a éveillé des soupçons sur sa loyauté. Une enquête a révélé qu'il jonglait aussi avec des monnaies étrangères. On l'a accusé d'être un capitaliste et emprisonné, à Tilanqiao (l'Alcatraz de l'Orient) où il est resté trois ans avant d'y mourir en 1958, sans revoir sa femme et leurs deux enfants.
La maison des Kwok a été subdivisée en
chambres
pour de nombreuses familles (jusqu'à 24 ont occupé la résidence
principale),
des cuisines installées dans le patio,
D'abord, Daisy a travaillé comme secrétaire, mais quand son mari et sa famille ont été accusés, elle a dû être rééduquée par le travail, dans des usines, des fonderies, en construisant des routes, puis dans des camps à creuser des toilettes, à peler des légumes. "Je voulais être la meilleure nettoyeuse de toilettes ou celle qui pelait le plus de navets. J'ai beaucoup appris. Une de mes tâches était de couper les feuilles extérieures de choux en provenance du nord qui devaient être exportés vers Hong Kong. Malgré les gants de coton recouverts d'une autre paire en laine, puis de gants en caoutchouc, mes doigts étaient gelés à la fin de la journée de travail, ce qui a causé l'arthrite dont je souffre maintenant. Regardez, mes doigts sont déformés. je ne peux plus tenir des objets fermement," a-t-elle expliqué peu avant de décéder.
Beaucoup d'anciens privilégiés n'ont pas supporté le changement de fortune, beaucoup se sont donné la mort. Pas Daisy, elle a accepté, elle voulait voir, elle voulait vivre. Elle était courageuse, forte et persévérante, vivant avec moins de 6 yuans par mois avec ses deux enfants, ne pliant pas l'échine sous les critiques. Elle avait été le témoin de grands changements, elle pouvait raconter des histoires étonnantes, de kidnapping, de raids dans des tripots du vieux Shanghai, des camps de la nouvelle Chine.
Daisy pose devant "sa" maison.
La maison Kwok, malgré son âge, a conservé
toute son élégance
Dans les 25 dernières années de sa vie (elle est morte à 89 ans), elle a enseigné l'anglais et a passé son temps à lire et faire des confitures. Elle aimait servir du thé à ses invités, dans des tasses ébréchées, mais avec l'élégance et la grâce de la princesse de Shanghai. J'ai cru comprendre qu'elle était retournée vivre à Lixi Lu, une chambre, la cuisine et la salle de bain partagées avec cinq autres familles.
(musique Benny Goodman, Poor Butterfly)
Si nous n'étions pas allés explorer une partie de Changning jamais je n'aurais eu la chance de "rencontrer" cette princesse déchue. Quel destin !
Un livre (que je n'ai pas lu) racontant
la vie de Daisy Kwok a été traduit en anglais :
Chen Danyan, Shanghai Princess,
Better Link Press (2010)
La villa du politicien-entrepreneur Li Hongzhang pour sa mère
bouddhiste. Elle a survécu à la Révolution culturelle, mais
beaucoup d'éléments pas à la rénovation de 1978.
Retournons dans le passé. Pas quatre mois en arrière quand nous avons entrepris cette balade que nous avons terminée hier, non presque un siècle. 20e siècle, années 20-30. Fermons les yeux... En 1936, Shanghai était une petite ville, à peine 3 millions d’habitants, dont 35 000 étrangers qui contrôlaient la moitié de la ville, des Anglais, des Américains, des Japonais, des Français, des Russes blancs...
Au-delà des Concessions, les terrains vagues ne manquaient pas, bien moins chers qu'en ville, plus faciles à acquérir, une bonne aubaine pour les audacieux et les rêveurs, ceux qui savaient flairer une bonne affaire, ceux qui rêvaient d'une énorme parcelle pour une demeure extravagante, d'autant plus que quelques rues étaient déjà en place. C'est ce que nous sommes allés voir, sur la carte ci-dessus, juste à l'ouest de la Concession internationale.
Une spacieuse villa de 1930
Les temps ont changé, les huit années d'occupation, puis la victoire, en 1949, de Mao Zedong sur les troupes du général Tchang Kaï-chek ont précipité le déclin de la ville. Elle a été considérée comme le
symbole du capitalisme étranger. Les riches propriétaires - chinois et étrangers -, sentant le vent tourner, sont partis aux quatre coins du monde, abandonnant leurs demeures. Pendant la Révolution culturelle, Shanghai a connu des troubles politiques et sociaux : à la fin , la municipalité a été renversée. Les plus importantes grèves de l'histoire de la ville ont paralysé la vie économique. Le bilan de la Révolution culturelle est considérable : 150 000 logements ont été confisqués rien qu'à Shanghai. Entre 1968 et 1976, un million de Shanghaiens ont été ruralisés de force.
Un palais gothique, un peu edwardien, un peu Tudor, que
Wang Goqun, ministre du rail, a fait construire pour
sa maîtresse. Il a été accusé de corruption et déchu en 1937.
Shanghai sommeillait, et le monde l'avait
presque oubliée, avant d'être revalorisée à la suite du mouvement de
réformes de Deng Xiaoping. On s'est alors mis à construire, dans les parcs autour des grandes villas la municipalité a érigé des immeubles assez laids, les grands appartements bourgeois, donc décadents, accueillaient déjà de nombreuses familles.
Le Capitaine Alexis Damsgaard et Madame habitait ici dans
les années 30. Enfin, surtout Madame. Monsieur étant aux
commandes de son navire le "Pacific".
Plus tard, on a ajouté des logis sur les toits, agrandi des appartements avec des "verrues" en plexiglas. C'est en levant les yeux, en pénétrant les lilongs, en imaginant les décors masqués par des caissons de climatiseurs, en suivant quelques indications fournies par les habitants actuels que l'on peut comprendre et apprécier les richesses actuelles et déplorer qu'elles n'aient pas été mieux conservées. Un vrai travail d'exploration.
Sans nos 3 livres de balades, nous serions certainement restés
très ignorants (B. Green, Six More Shanghai Walks: Patterns of the Past
Old China Hand Press 2008)
Dans cet immeuble des années 30, mais dorénavant aux
caractéristiques très chinoises, qui aurait pensé trouver...
Utilisée par le gouvernement du distict de Changning, cette
magnifique villa est bien protégée : On n'entre pas,
on ne photographie pas ! (Mais à travers les barreaux de la
grille d'entrée, on ose, a dit le garde, ce qui fut fait)
Je me demande pourquoi l'école Disney d'anglais juste à côté
ne leur a pas donné un coup de main pour la traduction de
la plaque
Lixi, c'est le nom de cette rue en chinois. En français, c'est
Lucerne. C'est dans la rue de Lucerne que se trouvait le
premier Swiss Club.