Pour qui? Pour quoi?


A peine arrivée, j'ai eu envie de rédiger et d'illustrer nos découvertes et notre nouvelle vie. Pour ceux que ça intéresse, mais aussi pour nous, des fois que nos mémoires nous jouent des tours.

lundi 5 novembre 2012

Mo Yan


Cent onze ans après la remise du premier prix Nobel de littérature, un écrivain chinois est pour la première fois récompensé. En honorant Mo Yan, l'académie suédoise s'offre le double luxe d'un grand écrivain et d'un compromis politique acceptable. A travers lui, c'est d'ailleurs toute une génération d'auteurs (nés après 1949) que l'on salue. Une génération qui remet le roman contemporain chinois sur le devant de la scène littéraire mondiale, Mo Yan étant sans doute l'écrivain le plus emblématique, le plus prolixe, aussi. Car, à défaut de parler (son pseudonyme signifie "celui qui ne parle pas"), Mo Yan écrit beaucoup. Près de 80 publications en trente ans pour l'écrivain originaire de la province du Shandong. De son vrai nom Guan Moye, Mo Yan passe son enfance à la ferme, et à la dure. Toute sa vie, il restera marqué par la Révolution culturelle. On retrouve la Chine rurale de ces années 1960-1970 dans ses romans et nouvelles - traitée souvent de manière ironique, déréalisée. C'est l'armée qui permettra au jeune homme d'échapper à la misère, de faire des études, de lire et finalement d'écrire. Au tournant des années 1980, alors que la Chine s'ouvre progressivement au monde, Mo Yan dévore la littérature étrangère. Il publiera son premier roman en 1981, Le Radis de cristal. Pour la première fois, il signe Mo Yan.

Le Shandong avec plus de 95 millions d'habitants est
l'une des provinces les plus peuplées du pays.
Son chef-lieu est Jinan.
C'est dans cette province que se trouve la ville de Qingdao
Des trente années d'écriture frénétiques qui vont suivre, quelques dates se dégagent. Comme en 1987, l'année de la publication en Chine du Clan du Sorgho, dont l'adaptation par le réalisateur Zhang Yimou remporte l'Ours d'or au Festival de Berlin (Le Sorgho rouge, 1988). Avec ce film paraissent les premières traductions dans le monde. Mo Yan devient l'un des écrivains chinois les plus lus à l'étranger. Réputation d'auteur difficile et réjouissant à la fois, bavard et obsessionnel, absurde et fantaisiste, entre pornographie et légende populaire, langue souvent exubérante et virtuose, formes subtiles et dialogues grossiers, Mo Yan ne cesse de réécrire cette histoire chinoise contemporaine, et sur tous les modes. Il faut bien cela pour peindre toutes les formes de l'appétit et de la gourmandise, la force du désir. Ses architectures sont complexes, ses personnages insaisissables, ses narrations souvent ambiguës. C'est pourquoi, peut-être, Mo Yan n'a pas été inquiété par la censure. Il a un sens de la métaphore et de la digression trop sûr pour se laisser attraper. Pour cette raison sans doute, ses détracteurs (ils existent) lui reprochent ce qu'il ne dit pas ou ce qu'il n'écrit pas, plutôt que le contenu de ses livres, sur lesquels l'avis est globalement unanime : cet écrivain-là est un grand écrivain. Plus d'une fois, des auteurs ou des journalistes ont regretté qu'il ne soutienne pas ceux qui souffrent, eux, de la censure ou de la répression politique. Au fond, on lui reproche d'être, à l'image de son pseudonyme, un taiseux. Celui qui ne parle pas.


Un rapide CV :
  • 1955 Naissance à Gaomi, dans la province du Shandong, à l'est de la Chine, dans une famille paysanne.
  • 1959-1961 Souffre de la famine lors du Grand Bond en avant. Raconte avoir "mangé du charbon" avec sa famille et, faute de mieux, "trouvé ça bon".
  • 1976 Entre dans l'Armée populaire de libération après un passage dans une usine de coton. Etudie à l'école militaire puis à l'université de Pékin, tout en rêvant de devenir écrivain.
  • 1981 Il publie Radis de cristal, premier roman. Change son nom de naissance (Guan Moye) pour un nom de plume (Mo Yan) avec lequel il signera les quelque 80 romans, essais et nouvelles qui composent son œuvre.
  • 1987 Le Clan du sorgho
  • 1995 Les Treize Pas
  • 1997 Démissionne de l'armée pour se consacrer à l'écriture.
  • 2004 Beaux seins, belles fesses
  • 2006 Le Supplice du santal
  • 2008 Quarante et un coups de canon
  • 2009 La Dure Loi du karma
  • 2011 Grenouilles
  • 2012 Prix Nobel de littérature.
S'il n'a rien d'un écrivain officiel, Mo Yan assume la position de vice-président de l'Association des écrivains chinois. Il fait partie des cent écrivains chinois qui ont accepté en mai de participer à un hommage à Mao Zedong : chacun des participants devait copier à la main un passage des "discours de Yan'an sur la littérature et les arts" de 1942. Or, ces discours sont le symbole de l'asservissement des artistes aux impératifs de la révolution prolétarienne – et aux délires de persécution qu'ils entraînèrent. Les internautes ont aussitôt établi une "liste de la honte" des écrivains sans conscience. L'appartenance à l'Association des écrivains, que certains rares et jeunes auteurs se permettent désormais de refuser, fut longtemps incontournable. Notamment pour voyager à l'étranger et avoir un passeport.

L'attribution du prix Nobel de la littérature à l'écrivain chinois divise les esprits et les consciences en Chine. Soupçonné de collaboration douce avec le régime, Mo Yan, dans ses premières déclarations aux journalistes étrangers, a pris de court ceux qui au sein de la propagande croyaient avoir trouvé en lui un allié : il a fait part de son souhait que Liu Xiaobo, le Prix Nobel de la paix 2010, emprisonné depuis décembre 2008, "soit libéré le plus tôt possible".

Il semble que Mo Yan se trouve là où on ne l'attend pas... sinon à Gaomi dans le Shandong où il entend continuer à vivre et où le musée va s'enrichir pour célébrer son honorable habitant.

Le Monde 12.10.2012 et des articles du Shanghai Daily des 14 et 15 octobre 2012.

2 commentaires:

  1. Aurais-tu un de ses livres à conseiller en particulier?
    Merci encore et toujours pour tes articles intéressants et drôles.
    Gros becs
    Julie

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    Réponses
    1. Le grand "classique", celui qui a été traduit dans des tas de langues pour lui offrir une réputation "internationale", c'est Beaux seins, belles fesses.
      Trouvé sur internet: "Chronique d'un siècle d'histoire chinoise, observée d'un village du Shandong, entre grotesque et drame. Chez Jintong, dernier-né d'une lignée de huit filles, bâtard d'un pasteur suédois et unique garçon adoré de sa mère, tous les accidents de la vie, les soubresauts de l'invasion japonaise ou de la révolution maoïste se nouent de fantasmes érotiques. A travers les yeux de cet idiot, Mo Yan donne à voir une troupe bigarrée, de bandits en chamans. Huit cents pages d'étourdissement lyrique." Ca me donne envie de le relire.
      Gros becs.

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