Pour qui? Pour quoi?


A peine arrivée, j'ai eu envie de rédiger et d'illustrer nos découvertes et notre nouvelle vie. Pour ceux que ça intéresse, mais aussi pour nous, des fois que nos mémoires nous jouent des tours.

lundi 30 juin 2014

Mon oeil, dernier épisode


J'étais venue pour trois ans, cela va faire quatre ans... C'est le moment de tout remettre dans la valise, les objets, les souvenirs, les odeurs et les bruits. De ne garder que ce qui peut être déplacé, des objets qui ne vont pas perdre de leur magie chinoise, qui vont me rappeler que j'ai vécu à Shanghai, parce que je le sais, au fil du temps j'aurai des doutes. Des tonnes de souvenirs gravés à jamais, des bons qui me rendront nostalgiques, de moins bons qui m'auront, malgré tout, fait grandir, qui m'auront aidée à me connaître un peu mieux. Se séparer du reste. S'asseoir sur la valise quand même pour pouvoir la fermer. Et là-bas, la vider, petit à petit, gentiment, en douceur.

Partir d'ici....
Mes enfants disent que ce sera impossible de se réhabituer au silence, à l'organisation, aux règles, à la lenteur, à l’immobilisme, aux heures de fermeture des magasins, à la prudence, la sobriété, la modestie...  la liste est longue. 

... pour retourner là !
Non, ce n'est pas un village, comme on le pense ici. Juste une petit ville
suisse de moyenne importance, à taille humaine.
"La Chaux-de-Fonds, ville de Le Corbusier a été pendant
plus de 100 ans le centre mondial de l'horlogerie.  [...]
La cime des arbres de la ville culmine à exactement 1000 mètres d’altitude,
faisant d’elle la ville la plus élevée d’Europe. La ville horlogère est inscrite
au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2009."
(http://www.myswitzerland.com/fr/la-chaux-de-fonds.html)
Pourtant, c'est de là que je viens, c'est avec cette culture-là que j'ai observé l'exubérance et le dynamisme de Shanghai, dont je n'ai pas toujours compris l'organisation de vie, de la société. Maintenant, riche de cette expérience, malgré tout, l’œil est affuté, j'aimerais pouvoir orienter mon regard vers ma société, certaine de ne pas tout comprendre non plus. Peut-être y aura-t-il un autre blog "Mon Œil", qui sait ?

De la beauté électrique...


... à la beauté bucolique































Dans le fond, malgré mon enthousiasme, j'ai toujours su que cette aventure aurait une fin. Je souris quand des expatriés se sentent "plus chinois que les Chinois". Avec toute notre bonne volonté, même si certains s'expriment dans un mandarin nuancé, nous ne serons jamais chinois, la société chinoise est exclusive. Elle a besoin de savoir-faire d'ailleurs, jusqu'à ce qu'elle le maîtrise, mais elle tient les rênes, par des règles fluctuantes (voir par exemple Concession française : Outrage ! ), de la corruption (On ne rigole pas !) ou des cadeaux (Les petits cadeaux entretiennent l'amitié) qui ne nous sont pas familières, en tous cas pas sous ces formes. On a décidé de nous tolérer à Shanghai, pour le bénéfice pour chacune des parties, donnant-donnant, certains avancent même qu'on a sacrifié Shanghai. Les portes se sont ouvertes, elles pourraient aussi se refermer...

Un magasin d'électronique (téléphones, ordinateurs, tablettes...)
qui s'appelle "Apple pie", ça doit donner quelques soucis
aux juristes de la marque à la pomme.
Ici, mes racines n'auraient pas pu trouver un terrain propice. Tout bouge tout le temps. prenons en exemple un restaurant ouïghour qui m'a fait découvrir que certaines régions du pays mangeaient aussi du pain ou de délicieux pâté à la viande de mouton. Je m'en suis régalée pendant une petite année. Puis, le restaurant a été démoli, puis reconstruit, toujours ouïghour. Plus de pain, plus de pâté à la viande, mais encore des brochettes de mouton dans un agencement tout neuf. Depuis un mois, les marteaux piqueurs y ont travaillé, un échafaudage a été posé, pour un nouveau restaurant ouïghour? Trois restaurants en quatre ans, je suis l'avancement des travaux, n'en verrai pas l'aboutissement... ni final, ni définitif, puisque tout change constamment. La photo de 2010 ne ressemble que vaguement à celle de 2014. Un Chinois a expliqué que ces constants changements permettent d'offrir du travail à tout le monde. Un autre a déclaré que tous ces constants travaux permettent à des officiels de toucher régulièrement des dessous de table; pour illustrer ses propos, il a mentionné un pont près de chez lui qui était refait tous les cinq ans... Alors quand on vient d'un pays où l'on construit pour plusieurs générations, on a besoin de temps pour s'enraciner.
Au bon vieux temps (juin 2011) !

Décoré et paré, le jour de sa nouvelle ouverture,
le 13 novembre 2011
En pleins travaux (juin 2014)














Retourner chez moi, certainement. Aller voir ailleurs, pourquoi pas ? Parce que c'est un énorme privilège de pouvoir observer un pays, une région, ou une ville de l'intérieur, ce qui n'arrive que rarement quand on part en vacances. Rien que pour la citation de Mark Twain, j'aurais envie de découvrir un autre coin du monde :

Le voyage est fatal aux préjudices, à la bigoterie et à l'étroitesse d'esprit. 

Je dois encore glisser dans ma valise des visages de gens qui m'ont souri, aidée, touchée, nourrie, écoutée, massée, reconnue, coiffée, consolée, fait rire, des gens qui ont rendu ce séjour... unique? inoubliable? émouvant? je n'ai pas de mot qui s'approche de mon sentiment au moment où j'écris ces lignes.











 








J'ai composé ce texte alors que je vivais mes derniers et mes dernières, rencontres, repas, achats, visites... Avec ce blog, j''ai appris que je pouvais écrire, que j'aimais poser mes étonnements, mes bonheurs, mes frustrations... Contrairement à ce que j'imaginais au départ, je n'ai pas écrit que pour moi, pour compenser une mémoire défaillante, compléter ou corriger des premières impressions trop émotionnelles ou lacunaires. Je me suis prise au jeu de consulter chaque matin la liste des provenances de mes lecteurs : au début, que de Suisse, c'est normal; puis de pays francophones, encore normal. Peu à peu, les Suisses ont lâché, toujours normal, moi aussi j'ai "oublié" de consulter des blogs de voyage de copains. Par contre, ce qui n'a pas cessé de m'épater et de me réjouir, ce sont tous ces lecteurs de contrées tellement exotiques que je ne résiste pas à les mentionner, pour les remercier  d'avoir pris le temps de s'arrêter ici : Allemagne, Algérie, Angola, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Belize, Bénin, Brésil, Bulgarie, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Chine, Colombie, Corée du Sud, Côte d’Ivoire, Danemark, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Espagne, Estonie, États-Unis, Iles Féroé, Finlande, France, Gabon, Grèce, Guinée, Guyane française, Haïti, Inde, Indonésie, Irlande, Israël, Italie, Japon, Kazakhstan, Liban, Liechtenstein, Macédoine, Madagascar, Malaisie, Mali, Maroc, Martinique, Maurice, Mauritanie, Mexique, Monaco, Népal, Niger, Norvège, Nouvelle-Calédonie, Panama, Pays-Bas, Pakistan, Philippines, Pologne, Portugal, Qatar, République tchèque, Réunion, Royaume-Uni, Roumanie, Rwanda, Russie, Sénégal, Serbie, Singapour, Suède, Suisse, Taïwan, Thaïlande, Togo, Tunisie, Turquie, Ukraine, Vietnam, Yémen. Incroyable, non ? Comme ces quatre ans à Shanghai !


(Tombée de rideau)

NB un mois plus tard : Pour continuer, parce que cet exercice me manque, rendez-vous sur http://mon-oeil-helvetie.blogspot.ch/ où il n'est plus question de Chine, plus directement en tous cas, mais de cette Suisse qui est aussi parfois bien déconcertante.

dimanche 29 juin 2014

Retour à la case départ


Départ en Chine, s'entend...

J'ai voulu retourner dans le quartier de nos premiers pas à Shanghai. A ce moment-là, je ne tenais pas de blog, je n'imaginais pas le faire, mais je réfléchissais gentiment à une manière de conserver mes souvenirs, mes impressions, mes questionnements et mes images. A ce moment-là, je ne savais pas non plus quels seraient ma vie, mes étonnements et  mes réactions. Je ne savais pas que tout le monde photographiait tout le monde, j'étais partie avec un carnet Moleskine et une série de mines, prête à m'asseoir pour dessiner tant bien que mal ce qui tombait sous mon regard. Je ne savais rien de la Chine ou de Shanghai. Ce n'est qu’après quelques mois, voyant que mes photos s'accumulaient et que j'avais trouvé la touche "vidéo" de mon appareil de photo, sans pouvoir transmettre les films trop lourds par mail, que mon blog a pris forme.


J'ai voulu retourner à Loushanguan parce que mes perceptions de Shanghai ont évolué et que je n'avais jamais remis les pieds par là-bas. Tout d'abord, je me suis demandé comment on choisissait un endroit de départ, tout en sachant qu'il serait certainement très provisoire. Nous avons choisi cet endroit au hasard, mais du " bon côté de la ville ", sur la base d'une recherche d'un logement " serviced apartment " trouvé sur Internet, qui annonçait fièrement qu'il se trouvait au-dessus d'une station de métro. Un bon argument.
Loushanguan en rouge.
En brun, l'endroit où Fred travaillait en 2010
Ce dont nous ne nous rendions pas compte alors était que Fred devait changer de métro à 2 reprises et que certaines stations de métro sont tentaculaires, Zhongshan Park, Xujiahui, People's Square, par exemple, des dédales de couloirs très encombrés aux heures de pointe.

 Un bout du voyage sur la ligne 3, qui a l'avantage de ne pas être souterraine,
avec un voisin toussotant
.
C'était Loushanguan, ça aurait pu être n'importe où, c'était le choc. J'étais en Chine, à Shanghai, dans un quartier où les étrangers ne sont pas légion. Je voulais un chez-moi, j'observais de notre chambre les différents types d'habitations : qu'est-ce qui m'attendait dans cette immensité de béton ?


 L'entrée de notre hôtel se trouvait dans une zone à l'arrière du bâtiment, moitié parking, moitié allée de passage, je m'y sentais protégée. Alors que Fred prenait ses marques dans son nouveau travail, j'avançais à pas mesurés dans les rues avoisinantes, à la recherche de marques que je peinais à trouver. 

De l'autre côté de ce "porche", la rue, la ville, la Chine...
Quelques mots de chinois, beaucoup d'appréhension, tout à déconstruire et à reconstruire.

Un supermarché plein de petits stands. Que choisir? Où payer ?



Prendre 20 bonnes minutes pour déchiffrer quelle sorte de
lait mettre dans mon thé...
Découvrir hier qu'il existe maintenant du lait SUISSE dans
ce même supermarché (que je n’achèterais pas !)



Entrer dans une boutique de fringues et être immédiatement suivie et conseillée par des vendeuses en mal de clientes ne faisait pas partie de mon quotidien chez moi. Je voulais être libre de regarder, de toucher. Maintenant, je les trouve de bon conseil, j'aime bien leur compagnie.

Mon premier repas au resto, c'est ici que je l'ai pris. J'avais
demandé un verre d'eau. Je ne savais pas si elle était potable,
j'en ai tout de même bu une gorgée, par politesse. Ce souvenir
m'a bien fait sourire hier...
En 2 semaines, combien de fois ai-je pris le temps de récupérer
sur ces bancs, de m'encourager, de me dire que cela irait,
que cela devrait aller, que 3 ans ce n'était pas si long.
Effectivement, puisque 3 ans ont passé à 4 et que je ne les
pas vus défiler.
Il m'a fallu quelques jours pour oser m'aventurer dans cette rue;
il me semblait que les arbres lui donnait un air mystérieux,
dangereux peut-être ?

Alors que je viens de découvrir que c'est une sacrée adresse
pour du poulet rôti !
Je n'avais pas réagi à la nourriture halogène, maintenant
elle m'interpelle.

J'ai beau scruter Internet, dans cette partie de la ville, il n'y pas grand chose à voir ou à faire. Quelques consulats (dont le mien), une flopée d'hôtels de gamme moyenne. Et puis la vraie vie, sans bling-bling. J'ai parcouru le quartier hier, perdue dans mes pensées, me souvenant de mes attentes d'il y a 4 ans, de mes espoirs, de mes rêves. Je ne le savais pas alors, mais ce quartier est peut-être le plus représentatif de ce que j'ai vu en Chine, de la vraie vie, des bâtiments usés prématurément, fatigués de pollution, un quartier vivant où les gens mangent, jouent. Il m'a plu hier, j'y suis allée d'un pas assuré.


Mais le coin va changer, comme cela arrive autour de chez nous, ailleurs, partout. De grands ensembles luxueux occupent les terrains qui étaient vagues en 2010 et des immeubles impressionnants sont en construction.