Pour qui? Pour quoi?


A peine arrivée, j'ai eu envie de rédiger et d'illustrer nos découvertes et notre nouvelle vie. Pour ceux que ça intéresse, mais aussi pour nous, des fois que nos mémoires nous jouent des tours.

vendredi 11 avril 2014

Les "villages" oubliés de Shanghai


Photo JR The Wrinkles of the City
Action in Shanghai, Xiao Genfa, Chine, 2010
Shanghai étincelle, Shanghai épate, on en a le souffle coupé, on l'envie, on la jalouse parfois. Pourtant, il y a aussi des endroits oubliés par la folie des grandeurs, des coins de ville appelés sobrement "villages". Mais rien à voir avec l'image idylliques que l'on pourrait s'en faire. Dans ces "villages", en principe, je ne m'y promène pas. Il m'est arrivé d'en traverser un par hasard, parce que je ne savais pas, parce qu'une toute nouvelle station de métro se trouvait de l'autre côté. J'évitais de tourner la tête, pas que je me sentais menacée, mais mon regard, qui aurait pu plonger à l'intérieur des maisons, dans les cuisines ajoutées sur la rue, était indiscret. 


Selon un récent rapport, des "villages", il y en aurait 104, dans presque tous les districts. La majorité d'entre eux étaient il y a encore peu des communautés rurales qui ont été englobées dans la toile d'urbanisation sans fin, puis oubliées. Des domaines agricoles ont été divisés en minuscules pièces à loyer modéré dont les familles de migrants avaient grand besoin, la ville les a encerclés.

Photo Amber Mizerak, China Travel Blog
Puisque je ne vais pas me rendre à Minhang, dans l'un de ces bidonvilles à la chinoise, mais que le sujet m'interpelle, je vais utiliser un article de ma collection. Entrons dans Youyi Village, trois blocs d'anciennes fermes, des ruelles étroites bordées de masures sombres, de détritus, d'enchevêtrements de câbles électriques sur lesquels sont accrochés du linge fraîchement lavé.

L'idéogramme en rouge signifie que la maison est à démolir
Photo Ma Yue, Shanghai Daily
C'est là que vit Mme Jin et son époux, natifs de la province de Anhui, une pièce de 10m2 comprenant deux lits superposés, une table, une télévision, un réfrigérateur, une micro-onde et un ventilateur. Ils sont moins à l'étroit depuis que leurs deux enfants ont quitté le domicile familial. Ils paient 530 RMB par mois et leur propriétaire aimerait adapter leur loyer en direction des 1000 RMB. Elle en gagne 1620 et son mari à peine plus. Ils ne pourraient pas vivre ailleurs.


Elle trouve son foyer "luxueux" comparé à ceux des voisins. C'est vrai que son allée en fin de village est un peu plus large, ce qui lui a permis de fixer des planches dehors à côté de l'entrée pour y placer une "cuisine". Elle est positive, Mme Jin, "les hivers sont bien parce que la taille de la pièce nous permet de nous tenir chaud. C'est plus dur en été avec la chaleur. Parfois, notre chambre est inondée lors de gros orages." Les voisins ont moins de chance. Par exemple ceux qui vivent dans des maisons de deux étages qui ont été divisées en trente unités, séparées par des cloisons aussi fines que du papier de riz. Chez elle aussi on entend tout, elle doit supporter son voisin ronfler, en plus de son mari.


Il y a d'autres voisins de la même province,  un couple, trois enfants, 8m2. Leur chambre est au 2e étage, ils n'ont donc pas pu construire de cuisine à l'extérieur. Ils utilisent un crachoir pour leurs besoins. En été, les odeurs sont nauséabondes, d'autant plus que la voirie ne s'aventure pas souvent dans le coin.


Mme Jin ne garde que peu d'argent chez elle. Ce type de village attire toutes sortes de criminels, de commerces illégaux. Des voix s'élèvent : "Il faudrait supprimer les villages." Auxquelles les autorités répondent : "Reloger toutes ces familles coûte cher." Onze villages figurent sur la liste des réformes de cette année, vingt l'année prochaine. En attendant, les propriétaires continuent à ajouter des extensions aux maisons, espérant ainsi obtenir de plus grandes compensations en cas de démolition. Rien n'est mentionné en ce qui concerne les locataires.


Mme Jin travaille comme technicienne de surface pour une compagnie privée. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est peut-être elle que je croise souvent lorsque je traverse l'imposant et luxueux centre commercial en face de chez moi. Elle ou une autre qui pousse inlassablement un balai sur les centaines de m2 du sol de marbre inoccupé, inexploité, inhabité...

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